- SCÉNOGRAPHIE
- SCÉNOGRAPHIESCÉNOGRAPHIEArt et métier de l’architecture scénique, la scénographie a une histoire parallèle à celle des sociétés et de leur théâtre. Longtemps les deux aires du jeu et du public ont tendu vers une même unité supérieure. L’édifice architectural lui-même prolonge l’œuvre. Le théâtre du Globe, à Londres, s’identifie à l’action du théâtre de Shakespeare, où l’acteur se situe au centre du public et multiplie les contacts et les possibilités de jeu. La création d’une scène d’illusion en perspective, cachant sa machinerie derrière un cadre de scène rigide et faisant face à la salle extérieure au lieu du drame, compartimentée en étages de loges, intervient dans l’Italie de la Renaissance et du XVIIe siècle, période féconde des arts plastiques. C’est un univers fictif, fermé, hiérarchisé qui régnera jusqu’aux efforts des grands hommes de théâtre du XXe siècle en faveur de la scène ouverte. La scénographie de la Renaissance est d’abord l’art de «mettre les objets en perspective» en les représentant sur une toile peinte; au XVIIe siècle, elle deviendra l’art du décor en perspective dans son ensemble. Vitruve, architecte romain de l’époque d’Auguste, avait laissé une œuvre considérable qui est reprise par les artistes de la Renaissance; partant de la tradition médiévale des mansions du décor simultané, ils l’unifient et la figent. Au simple symbole du lieu succède l’illusion recréée du lieu de l’action. La vraisemblance de la scène d’illusion n’est pas réalisme mais splendeur picturale et poétique. Si l’on pensait à séparer l’esthétique tragique du comique, les comédies classiques, les plus jouées, amenèrent la création du décor fixe. Dès le début du XVIe siècle, les architectes de scène avaient commencé à jouer avec les éléments architecturaux du décor: arcades offrant de nombreuses possibilités au jeu des acteurs, puis maisons disposées de chaque côté de la scène avec leurs portes et leurs fenêtres praticables. En 1583, la scène construite en perspective avec trois rues transversales entre les maisons devint l’aire de jeu de la comédie. On invente la coulisse plate, les constructions qui tournent, l’effet de profondeur; le décor peut changer à vue lors des intermèdes. On étudie les éclairages et les ombres. Les méthodes de l’époque nous sont parvenues par le traité de la Pratica di fabricar scene e macchine ne’teatri (1638), œuvre d’un architecte de scène de Pesaro, Nicola Sabattini. Toute la scénographie fut d’abord construite en fonction de l’œil du prince, assis, entouré de ses courtisans dans l’axe de la perspective. Au XVIIe siècle, on découvre qu’on pourra décentrer le point de vue, le choisir librement et, même, le multiplier en faisant fuir les lignes vers les côtés. Au XVIIIe siècle encore, les architectes italiens conciliaient les préoccupations visuelles et celles de l’acoustique, liées à l’opéra. Alors naquirent les salles en U allongé, en lyre, en fer à cheval. En France, la forme étroite et longue issue de celle des jeux de paume où Molière avait joué était toujours en vigueur au moment où Voltaire, par ses critiques vers 1745, encouragea un mouvement de réforme s’inspirant des Italiens. Les possibilités techniques des XIXe et XXe siècles ne détruiront pas radicalement ce monde doublement clos du théâtre à l’italienne. Le théâtre baroque donne une importance particulière à la scénographie, machine et décor. La machine du théâtre, comme son décor, ne cherche pas à nous dissimuler l’illusion du monde mais à la multiplier à l’infini par une séduction des sens. À l’époque romantique, les architectes de scène creusent la profondeur du plateau pour répondre à de nouvelles exigences du décor et de l’action. Depuis le début du XXe siècle, la mise en scène conteste et tend à faire éclater le dispositif classique de la scène à l’italienne. L’Allemand Fuchs a beaucoup influencé des metteurs en scène tels que Reinhardt ou Piscator; en contrepartie, Piscator inspira à Walter Gropius les plans d’un théâtre «synthétique» combinant les possibilités de la scène à l’italienne, de l’amphithéâtre, du théâtre en rond et des aires de jeu latérales ou circulaires. La scénographie désigne aujourd’hui l’invention de formes nouvelles et leur intégration dans le complexe scénique. Ce dernier est de plus en plus ouvert, répondant aux exigences d’une scénographie polyvalente dont le rêve serait de créer un lieu théâtral pour chaque spectacle. Ce que tente à sa manière André Engel avec le scénographe Nicky Rieti, lorsqu’il abandonne la scène — et donc la place fixe dévolue au spectateur — pour des lieux et des parcours qui rompent totalement avec la logique «close» du théâtre à l’italienne (Hôtel moderne , 1979, d’après Kafka; Dell’Inferno , 1982, d’après Dante); de même, dans Le Voyage d’hiver (1977), Klaus Michael Grüber confronte l’Hyperion de Hölderlin à l’histoire de l’Allemagne, en situant son spectacle dans le stade qui accueillit les jeux Olympiques de Berlin, en 1936.Mais le théâtre à l’italienne n’est pas abandonné pour autant. Au contraire, son pouvoir d’illusion, voire de matérialisation de la psyché se voit réaffirmé, avec l’importance croissante dévolue au metteur en scène, souvent accompagné d’un scénographe attitré qui propose une vision très personnelle de l’œuvre à monter: renouant avec les traités de Sebastiano Serlio et de Baldassare Peruzzi à travers les somptueuses structures qu’il met en place pour les spectacles de Planchon et surtout de Strehler, Ezio Frigerio parvient à créer des formes — inspirées notamment des palais et des églises baroques, ou de l’architecture industrielle — où se reconnaît la culture de notre temps. Le décor n’illustre pas le texte, il l’éclaire visuellement. À l’opposé, le dépouillement de l’espace caractérise le travail de Yannis Kokkos, scénographe d’Antoine Vitez. Citons également les grandes parois aveugles, les palais menaçants qui caractérisent le style de Richard Peduzzi, qui réalise les décors des pièces ou des opéras mis en scène par Patrice Chéreau. Est-ce là le simple rétablissement de la scène à l’italienne? Voyons-y plutôt une manière, non plus de chasser le théâtre hors de lui-même, mais, par le biais de la scénographie, de créer des images assez fortes pour capter l’essence du monde. Si sa place est rendue au spectateur, c’est alors pour que celui-ci soit le témoin d’une action dramatique portée au paroxysme de sa signification par la combinaison des arts de la scène.• 1545; lat. scenographia, gr. skênographia, de skênê♦ Didact.1 ♦ Art de représenter en perspective; représentation en perspective. Les scénographies de Palladio, à Vicence.2 ♦ Étude des aménagements matériels du théâtre; technique de leur utilisation. Traité de scénographie (on dit aussi SCÉNOLOGIE ). Spécialiste de scénographie (SCÉNOGRAPHE n. ).scénographien. f. Didac.d1./d Technique des aménagements intérieurs des théâtres, et partic. de la scène.d2./d Art de représenter en perspective (les sites, les édifices).⇒SCÉNOGRAPHIE, subst. fém.A. — BEAUX-ARTS. Représentation en perspective (des sites, des édifices, des décors de la scène). (Ds ADELINE, Lex. termes art, 1884). L'élévation est dite perspective quand elle représente le bâtiment à la fois de face et de côté (...) conformément (...) à l'action visuelle. C'est ce que les Grecs appelaient scénographie (Ch. BLANC, Gramm. arts dessin, 1876, p. 74).B. — THÉÂTRE. Art et étude de l'organisation, de l'agencement de la scène (décor, matériel, etc.). Traité de scénographie. La scénographie baroque jouant de ses mille facettes sera (...) le catalyseur d'un pathétique émotionnel, un langage international, accessible par sa séduction visuelle, à tous les niveaux de l'entendement (Hist. spect., 1965, p. 584).REM. Scénographique, adj. Relatif à la scénographie. a) Beaux-arts. [Corresp. à supra A] Pour Lyon, c'est le grand plan « scénographique », conservé dans les archives municipales, magnifique estampe coloriée (...). La ville est représentée en perspective, mais vue à vol d'oiseau presque verticalement (P. LAVEDAN, Urban., 1926, p. 139). b) Théâtre. [Corresp. à supra B] Aménagement, décoration scénographique. Versailles nationalisera en les magnifiant les traditions scénographiques venues d'Italie (Hist. spect., 1965, p. 584). P. anal. La perception est une représentation purement scénographique; c'est une scène décrite, mais il n'y a pas de spectateur (COUSIN, Hist. philos. mod., t. 1, 1846, p. 98).Prononc. et Orth.:[
]. Att. ds Ac. 1762-1878. Étymol. et Hist. 1. 1545 « action de représenter des sites, des édifices, en perspective » (J. MARTIN, trad. S. SERLIO, Le Second livre de perspective de Sebastien Serlio Bolognois, p. 25 v ° ds IGLF); 2. 1676 (FÉLIBIEN, p. 733: scenographie [...] veut dire aussi une representation de relief que l'on appelle Modelle); 3. 1752 « art de peindre en perspective les décorations scéniques » (Trév.); 4. 1943 « étude des aménagements matériels du théâtre » (P. SONREL, Traité de scénographie). Empr. au lat. scaenographia « coupe en perspective », gr.
« récit ou description dramatique », « décor de peinture pour le théâtre ».
DÉR. Scénographe, subst. a) Beaux-arts. [Corresp. à supra A] Artiste spécialisé dans la représentation en perspective. (Dict. XIXe et XXe s.). b) Théâtre. [Corresp. à supra B] Personne chargée des aménagements matériels de la scène. Chaque théâtre dispose de metteurs en scène qui lui sont directement attachés (...) de même a-t-il ses propres décorateurs ou « scénographes », pour employer un terme si justement en faveur dans les pays de l'Europe centrale et orientale (Les Lettres fr., 13 déc. 1967, p. 23, col. 4). — []. — 1res attest. a) 1829 « peintre qui s'occupe de scénographie » (BOISTE), b) 1964 « théoricien ou praticien de la technique scénique » (Lar. encyclop.); de scénographie.
BBG. — BORN. 1967, p. II, 7.scénographie [senɔgʀafi] n. f.ÉTYM. 1545; lat. scenographia, grec skênographia, de skênê.❖♦ Didactique.1 Art de représenter en perspective.♦ (1752). || Une, des scénographies : représentation en perspective. || Les scénographies de Palladio, à Vicence.2 (1943). Étude des aménagements matériels du théâtre. || Traité de scénographie, de P. Sonrel (1956). ⇒ Scénologie.❖DÉR. Scénographe, scénographique.
Encyclopédie Universelle. 2012.